En France, en 2015, 900 000 personnes étaient atteintes de la maladie d’Alzheimer ou d’une maladie apparentée. Un chiffre qui serait, selon les estimations, amené à doubler d’ici 2050. C’est dans cette perspective qu’en mars 2020, le premier Village Alzheimer de France a ouvert ses portes à Saint-Paul-lès-Dax dans les Landes.
Directement inspiré d’un projet développé à partir des années 1990 aux Pays-Bas, le concept est de concevoir un quartier dédié à l’accueil et à l’hébergement des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou d’une maladie apparentée, en y associant un certain nombre d’équipements publics, de commerces et de services, accessibles aux riverains. L’ouverture du Village landais Alzheimer marque l’aboutissement de plusieurs années de travail initiées en 2013 par le Président du Conseil Départemental des Landes, Henri Emmanuelli.
L’émergence d’un projet comme celui du Village est significative à plusieurs égards. D’abord en raison de la spécificité du public accueilli, questionnant la place prise depuis plusieurs années par la maladie d’Alzheimer dans notre société. Ensuite, parce qu’elle interroge les modalités actuelles de prises en charge des personnes malades au sein des Ehpad (Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes).
La maladie d’Alzheimer et les maladies apparentées
Depuis près de cinquante ans, la maladie d’Alzheimer a fait l’objet d’une attention particulière d’un point de vue médical, politique ou encore médiatique.
C’est en 1906 que le psychiatre allemand Alois Alzheimer, décrit pour la première fois les symptômes et lésions cérébrales, aujourd’hui encore caractéristiques de la maladie, observées chez une de ses patientes, Auguste.D, décédée à l’âge de 51 ans. Les progrès de la recherche et de la médecine ont peu à peu permis de faire de la maladie d’Alzheimer une pathologie à part entière, touchant en majorité des personnes de plus de soixante ans, mais aussi des patients plus jeunes. Sur le plan médical, elle reste malgré tout particulière. Aujourd’hui toujours incurable, elle est aussi particulièrement difficile à diagnostiquer et la majeure partie des spécialistes, s’accordent à dire que seuls des examens post mortem permettraient de poser de manière certaine le diagnostic.
Cette difficulté a participé à inclure dans le champ de reconnaissance de la maladie des pathologies aux symptômes relativement proches, regroupées sous le terme « maladies apparentées » (maladie à corps de Lewy, dégénérescences fronto-temporales, etc.). Les récents débats autour du déremboursement des médicaments jusqu’alors prescrits aux personnes malades ont mis en avant l’importance des thérapies non médicamenteuses, ainsi que celle de l’accompagnement social dans la prise en charge des personnes malades.
Dans une perspective politique, la maladie d’Alzheimer est rattachée à la prise en charge des personnes âgées. Depuis le début des années 2000, elle a pourtant fait l’objet d’un traitement spécifique, à travers la création et la mise en œuvre de trois plans Alzheimer et maladies apparentées en seulement dix ans et en devenant, en 2007, sous le gouvernement de Nicolas Sarkozy, une Grande cause nationale. Aujourd’hui, la maladie d’Alzheimer n’est plus abordée de manière indépendante mais dans le cadre d’une réflexion plus large sur les maladies neurodégénératives.
Elle reste cependant omniprésente dans notre société, véritable sujet de prédilection des médias (presse, télévision, littérature, cinéma, etc.). La volonté d’améliorer les conditions de vie des personnes malades et de leur entourage est, elle, devenue un objet de réflexion à part entière, notamment dans le cadre de l’hébergement collectif.
La « vie ordinaire »
L’émergence de ce type de projet innovant s’inscrit dans une remise en cause du modèle actuel de prise en charge des personnes malades, sous sa forme la plus emblématique : l’Ehpad. Largement et régulièrement critiqué pour les conditions de vie qu’il impose aux personnes dont il a la charge, l’Ehpad est également mis en cause pour sa référence à l’univers hospitalier.
Le concept du Village renvoie, quant à lui, à l’idée d’une communauté, avec ses mécanismes de solidarité et d’entraide. Il repose sur la promotion de « la vie ordinaire » ou de la « vie normale », où toute référence au médical est interdite comme le souligne Monsieur Pleinciel, l’un des membres du Conseil Départemental des Landes :
« Il fallait que le projet ressemble à un village, qu’il y ait une place, qu’il y ait des commerces, qu’il y ait une signalétique, qu’on proscrive tout élément qui rappelle l’hôpital. »
Une architecture construite autour de la « bastide » gasconne
Le projet s’insère dans un tissu urbain pavillonnaire, au cœur d’un terrain de près de 150 000 m2. Il accueille cent-vingt résidents répartis au sein de quatre entités dénommées « quartiers », représentatives de modes de vie considérés comme caractéristiques du territoire landais. Chaque entité est elle-même déclinée en quatre « maisonnées » de sept à huit personnes comportant, outre les chambres des résidents, des espaces communs (cuisine, salon, salle à manger et terrasse).
Le programme associe différents équipements, commerces et services tels qu’un auditorium, une médiathèque, un café, un restaurant, une épicerie ainsi qu’un pôle médical. Ils sont regroupés autour d’une place centrale, accessible depuis l’entrée principale.
La forme architecturale et urbaine du Village privilégie les références et les matériaux locaux pour favoriser l’intégration du projet dans son environnement.
La bastide, mode d’organisation des villages gascons au XIVe siècle, reposant sur un plan récurrent, est mobilisée pour agencer la place centrale du Village. Bordée d’arcades, elle est le lieu de rencontre privilégié entre résidents, personnels, familles et visiteurs. Elle permet l’accès aux différents équipements. Le café et le restaurant, avec leurs terrasses, bénéficient d’une vue imprenable sur le lieu et les activités qui s’y déroulent.
Dans l’ensemble du Village, la blouse blanche est mise de côté pour atténuer la différence entre résident et personnel. L’objectif est de rendre le moins visible possible la maladie et les éléments stigmatisants dans la prise en charge collective des personnes. Ainsi, chaque maisonnée dispose d’un accès secondaire, dédié aux professionnels de santé, qui débouche sur un « SAS » technique où sont stockés les éléments nécessaires à l’accompagnement des résidents (linge sale, protections, etc.). Cette précaution permet de libérer le reste de la maisonnée et de favoriser le caractère domestique et ordinaire des lieux de vie.
L’une des architectes du projet rappelle qu’avant tout
« Le but était d’avoir un lieu de vie agréable, des espaces communs, de la lumière, une certaine intimité dans les chambres, des espaces plus communs sur les places. Mais finalement c’est du bon sens, cela peut être adapté à d’autres personnes, pas forcément des malades d’Alzheimer. »
Une volonté d’inclusion des personnes malades dans la société
L’une des singularités du Village est aussi la manière avec laquelle il s’intègre dans le quartier autour de lui, considéré comme une ressource dans le projet et un support d’intégration à la vie urbaine. Une réflexion importante a été menée pour que les équipements, services et commerces proposés dans le Village correspondent aux besoins du territoire tout en s’adaptant à la spécificité des personnes malades. L’objectif est de proposer une nouvelle centralité au cœur d’un territoire dispersé, suscitant l’envie des personnes extérieures au Village de s’y rendre.
En s’ouvrant sur la ville, le Village cherche ainsi à favoriser l’intégration sociale des personnes malades et à limiter leur mise à l’écart. Cependant, les résidents n’ont pas la possibilité de sortir du Village (hormis pour quelques activités encadrées) et les interactions ne peuvent se faire que dans un seul sens, de l’extérieur vers l’intérieur. La création ex nihilo du Village interroge aussi, pouvant donner un caractère factice à sa vie et à son animation. Pour Madame Lapointe, directrice d’un établissement accueillant des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer :
« Ce que je déplore le plus dans tout ça, c’est de passer le message à la société qu’il faut qu’ils soient dans un village, un faux village, pour vivre. »
Il ne faut cependant pas oublier que le projet Village landais Alzheimer s’inscrit dans une démarche innovante et expérimentale. L’objectif clairement affiché est donc bien d’en évaluer la pertinence pour, selon l’un des ingénieurs régionaux de l’ARS en charge de l’équipement, « reporter cette innovation et ce qui fonctionne sur l’Ehpad de demain et sur la manière dont on voit l’accompagnement ». Il faudra sans doute pour cela attendre la fin de la pandémie, et le retour à la normale dans le fonctionnement du Village.
Manon Labarchède, Docteure en sociologie - Architecte D.E - Membre associée au Centre Emile Durkheim et au laboratoire PAVE de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage (ENSAP) Bordeaux, Université de Bordeaux
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.
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